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Benjamin Ponde
 
 
 
Benjamin Pondé
Senior Manager
Forensic et investigations


 
 
Dans la tête d’un enquêteur


Chronique inspirée de faits réels.
Les noms, fonctions et situations modifiés pour préserver leur confidentialité.


Bon, cette fois ça y est, voilà le meilleur moment…

Je suis devant la DRH qui m’annonce que mon suspect m’attend dans la pièce d’à côté. Comment cela va t’il se passer ? De quoi aura-t-il l’air ? Est-ce que notre enquête a été bien faite ? Mais surtout quelle stratégie de défense va-t-il avancer ? Autant de questions dont je vais avoir la réponse dès que j’aurais passé la porte et commencé l’entretien.

Ça va être serré, le suspect a été prudent, je n’ai récupéré que quelques bribes d’éléments en plus des témoignages. Bon, je me reprends et je me lance.

Je remercie la DRH et invite mon binôme à me suivre. Il est jeune, mais finalement je me dis que je devais avoir le même âge quand j’ai commencé, que c’est comme ça qu’on apprend le mieux.

- Julien… tu penses bien à…

- Oui, pas de soucis ! J’avais déjà compris au bout de quatre fois, tu sais… Me répond-il avec un sourire en coin.

Je pousse la porte un peu plus rapidement que d’habitude, surement le stress, et rentre dans la pièce.

- Bonjour, Monsieur Massen ? Je me présente, Benjamin Pondé. Et voici mon collègue, qui m’assistera dans notre entretien…

Aïe, le quidam se lève et m’accueille comme si c’était son propre bureau. Il a l’air à l’aise. Manquerait plus qu’il m’invite à m’assoir…

- Mais je vous en prie, asseyez-vous… Dit-il en me montrant deux chaises situées de l’autre côté de la table.


Pas question qu’il prenne l’ascendant durant l’entretien, je m’assois sur la chaise juste à côté de lui en jetant discrètement un œil à sa réaction. Il est surpris. Bien, j’enchaîne comme si de rien n’était.
- Bien, Monsieur Massen. C’est une très bonne chose que vous ayez pu vous libérer. Comme vous vous en doutez c’est au sujet de l’enquête interne dont vous avez été informé il y a… deux semaines je crois ? Je le regarde, il me fixe sans ciller, il attend la suite. Il jette un œil sur les dossiers que je pose en même temps sur le bureau. Je me dis à ce moment que j’ai peut-être rajouté un peu trop de plaquettes de présentation de notre offre pour gonfler la première chemise… Je la pose doucement sur la table en faisant attention de ne pas décaler les feuilles pour que ça ne se voit pas. Les gens sont toujours impressionnés quand on a un gros dossier devant alors que la plupart du temps il suffit de quelques feuilles. C’est comme ça.

- Bien, je vois que Julien est prêt (il s’est assis de l’autre côté de la table, c’est bien, et a branché la caméra). Nous allons pouvoir commencer. Monsieur Massen, je dois vous demander officiellement si vous nous autorisez à filmer l’entretien ?

- Filmer… euh… mais pourquoi ?

- C’est une vieille habitude que je tiens de mes précédentes fonctions, lorsque j’étais enquêteur de police (il a l’air surpris, c’est très bien). Ça nous permet d’être d’accord sur ce que nous nous sommes dit. J’ai besoin de votre accord toutefois, et vous avez la possibilité de refuser.

- Euh… pas de problème…

- Bon.

Je fais signe de la tête à Julien pour qu’il commence l’entretien. Les premières questions sont préparées, elles sont faciles et portent sur son poste, sa carrière dans l’entreprise, son ancienneté… Bref, rien de très intéressant mais ça permettra à Massen de s’habituer à répondre correctement pendant 10 minutes, de le mettre en confiance. Julien a la voix calme, presque détachée. Il est parfait. Pendant ce temps, je fais mine de relire le dossier… J’aime bien ces plaquettes… Sans lever les yeux, j’entends Julien qui pose la dernière question et note la réponse. Ça va être mon tour, j’ai toujours un peu le trac à ce moment-là car, même si je connais ma direction, c’est toujours un peu du freestyle. Tout en gardant les yeux sur ma plaquette, je compte mentalement jusqu’à 20 pour installer un silence gênant dans la pièce. J’entends Julien qui bouge sur sa chaise, ça doit le mettre mal à l’aise aussi.

- … Vous connaissez une nommée Glardin ? Bénédicte Glardin ? Je le regarde dans les yeux.
- Oui.

Il me regarde sans rien dire d’autre. Je pense qu’il veut jouer avec moi. Soit. Jouons. Je garde le contact visuel et j’attends sans rien dire. Julien bouge encore sur sa chaise, je me rappelle que j’étais pareil au début, ne tenant jamais en place, et ça me fait sourire. Je lève un sourcil pour signifier à Massen que j’attends qu’il continue.

[…]

Cela fait maintenant trente minutes que nous discutons lui et moi. Nous avons parlé de Bénédicte, de leur collaboration sur le projet Icar, de cette mission qu’ils ont faite ensemble à Dijon. Je ne l’ai pas contredit quand il évoquait leur bonne collaboration, il doit penser qu’il me contient avec ses réponses maintenant, que l’enquête n’est pas allée aussi loin qu’il ne le craignait. C’est le bon moment pour percer sa défense.

- Vous la trouvez jolie ?

- … euh… mais qui ?

- Bah, Bénédicte ?

- Mais enfin… Vous n’avez pas le droit de … Je ne vous permets pas !

- En fait, j’essaye de comprendre (je me redresse sur ma chaise et ouvre ma première chemise pour lui faire la lecture) : quand on envoie par SMS des messages du genre « j’adore ton sourire » et autres plus poussés, je me dis que normalement c’est que l’on a un petit penchant pour la jeune femme. Pas vous ? Il me regarde fixement. Ce genre d’homme n’a pas l’habitude qu’on s’adresse à lui de la sorte, ça le déstabilise, le sort de ses repères. Là, je vois ce qui se passe dans sa tête : une tornade de pensées a submergé la fausse quiétude qui s’était installée quelques minutes plus tôt dans son esprit. Il avait forcé Bénédicte à effacer ces textos dès le lendemain matin et se demande comment j’ai pu les récupérer. Je pense qu’il fait mentalement la liste de tout ce qu’il lui a envoyé pour voir si avec ça je peux prouver ce qu’il pensait avoir profondément enterré.

- Monsieur Massen, les textos effacés, je peux les remonter… c’est assez facile pour nous, donc c’est comme vous voulez : vous préférez attendre que j’abatte mes cartes une à une ou on commence à parler de ce qui s’est vraiment passé cette nuit-là ?

Il hésite. Ces moments-là me font toujours penser aux personnes qui sont montées tout en haut du plongeoir de 5 mètres mais qui hésitent à sauter alors que leurs orteils sont au bord de la planche. Ils ont juste besoin d’une petite tape dans le dos. Pas de problème, je suis là pour ça :

- Si vous préférez on peut parler des mails que vous envoyez à la stagiaire de la compta…

J’attrape la deuxième chemise mais sans l’ouvrir : celle-ci est pleine de pages blanches prises dans la photocopieuse quelques minutes plus tôt et d’un bout de mail d’excuses à moitié effacé et retrouvé sur son ordinateur. Son visage se décompose, il est livide. Je l’ai peut-être poussé un peu trop fort du plongeoir…

- Avec Marion, c’était pas pareil. Je peux tout vous expliquer…

Il va faire un gros « plouf », je le sens. Je garde le visage bien neutre et j’espère intérieurement que Julien en fait de même, ce n’est pas le moment que le sujet comprenne qu’il est en train de nous apprendre des choses. Je vais le laisser dérouler son histoire et lui poserai des questions après. Je remarque que sa posture a changé, son dos s’est légèrement vouté ses épaules baissées. Il a arrêté de me regarder dans les yeux et fixe le bord de la table. Je pense qu’il vient de laisser tomber sa stratégie de défense.

[…]

- Voilà, c’est tout ce qui s’est passé. Je regrette… je ne sais pas ce qui m’a pris.

Son visage est grave mais, au fond de lui, je sais qu’il est soulagé. De mon côté, je réprime l’envie de sourire de satisfaction. Le temps qu’il relise l’entretien, je fais la liste mentale des choses qu’il nous reste à faire pour l’enquête et vérifie si j’ai abordé avec lui tous les éléments constitutifs de l’infraction. Je raccompagne le suspect jusqu’à la porte, il a la tête basse comme si le poids de ses actes pesait subitement. En chemin, je lui réexplique quelles sont les prochaines étapes le concernant. C’est important de répéter dans ces moments-là car l’esprit a du mal à se concentrer et à retenir. Mon rôle n’est pas de le juger, mais de chercher ce qui se rapproche le plus de la vérité. Cet horizon qu’on approche sans jamais l’atteindre. J’aime bien cette métaphore, il faudrait que j’en parle à Julien.

Le suspect parti, je referme la porte et me tourne vers Julien. Il me demande :

- Juste pour savoir, t’avais mis quoi dans la seconde pochette ?

- J’y ai mis ses peurs et ses doutes les plus sombres… dis-je en sortant les pages blanches.

Bon il faut vraiment que j’arrête de faire des punchlines comme dans les films américains.

 

 
 
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