La délicate mue du document de référence
La nouvelle réglementation européenne « Prospectus 3 » en matière de communication financière et extra-financière vise à terme un raccourcissement des délais d’émission des titres pour les entreprises dans certaines conditions. Entrée en vigueur le 21 juillet dernier, l’élaboration du nouveau « document d’enregistrement universel » (URD) est un premier exercice du genre pour les entreprises dans le cadre de leur clôture annuelle des comptes.
Chaque année, la fin d’exercice témoigne pour un grand nombre d’acteurs d’un mécanisme bien
rodé. Les entreprises doivent désormais se conformer au dispositif européen d’harmonisation en
faisant évoluer leurs pratiques afin de produire un document unique et complet. Les impacts de cette
nouvelle réglementation en matière de communication sont multiples.
Parmi les aspects les plus significatifs, la présentation des facteurs de risques requière un niveau de réflexion spécifique. En effet, si le document de référence avait déjà évolué pour renforcer sur cette thématique, notamment en corrélant les moyens mis en place pour maitriser les risques, l’URD fixe des objectifs plus ambitieux pour l’émetteur qui devra désormais :
• Présenter l’évaluation de leur impact et de leur probabilité d’occurrence,
• Agréger les facteurs de risques dans un nombre limité de catégories,
• Classer les facteurs de risques par ordre de gravité.
L’Autorité des Marchés Financiers sera très attentive quant à la spécificité, la matérialité de la corroboration et la catégorisation des facteurs de risque. Toutefois, il règne encore une forme d’incertitude des attentes du régulateur. Dans ce contexte, les émetteurs s’interrogent sur leur organisation pour répondre dans les délais impartis à ces nouvelles exigences sous le format imposé par l’Union Européenne. En effet, certains Groupes en clôture décalée ou ayant décidé d’anticiper l’application de la réglementation se sont déjà confrontés à l’exercice. Quelques émetteurs ont fait le choix de n’apporter que très peu de modifications à leur communication héritée de leur « document de référence » , alors que d’autres structures ont d’ores et déjà procédé à la refonte profonde de la partie consacrée aux facteurs de risque incluant, dans certains cas, la représentation d’une cartographie des risques majeurs.
La crainte d’un détournement d’informations stratégiques
Au rebours du cadre réglementaire, considérablement accru avec les évolutions de la loi Sapin 2, du devoir de vigilance, du RGPD et du rôle du Comité d’audit en la matière, la « sur-transparence » en matière de communication des risques est vue par certains acteurs comme une menace vis-à-vis du secret des affaires. En effet, les orientations de régulateur visent « à encourager une communication appropriée, ciblée et simplifiée des facteurs de risque, sous une forme aisément analysable, concise et compréhensible » et « à veiller à ce que les investisseurs puissent évaluer les risques pertinents liés à leur investissement et puissent donc prendre leurs décisions d’investissement en pleine connaissance de cause ». À l’heure des réseaux sociaux et des fakes news pouvant faire chuter le cours de bourse de manière spectaculaire comme le Groupe Vinci a pu amèrement en faire l’expérience, les entreprises s’exposent à un détournement de leurs informations qui pourrait même être exploitées par la concurrence. Evidemment l’objectif de transparence vis-à-vis de l’investisseur est louable, encore faut-il qu’il ait les bonnes clés pour correctement interpréter les éléments d’information.
Il appartient donc aux émetteurs de trouver un juste milieu entre les attentes du régulateur et la mise à disposition d’une communication efficace à l’attention des autres parties prenantes sans dévoiler pour autant des informations à même de mettre en péril les opérations stratégiques qui nécessitent un haut niveau de confidentialité. C’est également l’opportunité de revoir l’alignement entre le dispositif de gestion interne, la présentation qui en est faite au comité d’audit et la communication dédiée au marché via l’URD. Enfin, l’ensemble doit servir in fine au renforcement de la culture de risque et de sa gouvernance.
Tribune publiée par Julien Auvray, Directeur Associé Grant Thornton dans Option Finance, le 13 janvier 2020
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