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Pascal Demurger |
Directeur général du Groupe MAIF
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Propos recueillis le 9 juillet 2020, par Agnès de Ribet, Directrice du
Marketing et de la Communication de Grant Thornton.
Vous avez publié un livre en 2019 qui a beaucoup fait
parler de vous : « L’entreprise du XXIe siècle sera
politique ou ne sera plus ».
Vous y évoquez un nouveau type de leadership
d’entreprise indissociable d’une éthique véritable.
C’est ainsi que vous avez profondément fait évoluer
votre groupe. Quelle a été la toute première graine
que vous avez souhaité planter et voir fleurir ?
La MAIF a longtemps été tiraillée entre deux contraires, une exigence
éthique et une contrainte économique, une volonté de contribuer
positivement et une nécessité de compétitivité sur un marché très
concurrentiel. Mais, progressivement, nous avons inventé un modèle
d’entreprise différent, qui fait de son engagement une source majeure
de sa performance.
La première « graine » à planter est ainsi de prendre conscience qu’il
est possible de satisfaire à la fois les considérations économiques et
éthiques. Mais on ne dépasse pas l’opposition d’intérêts contradictoires
en cherchant seulement à les concilier, il faut parvenir à les aligner.
Ce point de la recherche d’un alignement des intérêts est, totalement,
essentiel. Il consiste à prendre en compte les intérêts de l’autre et, sans
renoncer même partiellement aux siens propres, de chercher à les
aligner.
Il s’agit donc bien de répondre le mieux possible aux attentes, aux
aspirations ou aux intérêts de ses différentes parties prenantes, de
rechercher toujours à avoir l’impact le plus positif possible sur son
environnement pour construire, finalement, un modèle économique plus
performant et plus durable pour l’entreprise elle-même.
Vous dites aussi que les dirigeants sont ceux qui ont
les leviers les plus puissants pour faire changer le
monde et pourtant, parfois, ils sont les moins enclins
à les utiliser. C’est un paradoxe assez vicieux.
Comment l’expliquez-vous, quels freins faire
disparaître ?
Pour que les dirigeants soient convaincus de la nécessité de changer, il
faut à mon sens démontrer deux choses. La première, c’est qu’il n’est
plus possible d’ignorer l’attente sociale extrêmement forte qui s’adresse
à l’entreprise. Un dirigeant qui s’y risquerait mettrait en péril la pérennité
de son entreprise. Ainsi, aujourd’hui, il est difficile pour une entreprise
qui ne s’engage pas d’attirer des talents ou de les retenir. Il deviendra
compliqué demain de convaincre les consommateurs : l’engagement
est devenu un critère de consommation déterminant. Il en est de même
pour les épargnants, les fonds de gestion d’actifs commencent à
exprimer leur sensibilité sur le sujet.
La deuxième manière de convaincre les dirigeants est tout simplement
de leur prouver que ça marche : nous avons démontré à la MAIF qu’on
peut avoir un impact réel, tant sur l’environnement que sur ses parties
prenantes immédiates, tout en créant de la performance.
Je reconnais cependant que s’engager dans cette voie peut sembler
parfois vertigineux. D’abord, cela demande au dirigeant de mettre en
place un modèle qui s’éloigne de celui que l’on nous enseigne dans nos
écoles et de s’écarter des pratiques classiques que l’on connaît.
Ensuite, il faut accepter qu’un tel changement puisse avoir, dans un premier temps, des répercussions négatives sur la rentabilité immédiate
avant de générer une performance à long terme. Mais je suis convaincu
que, quels que soient le secteur et la taille de l’entreprise, ce
changement est non seulement possible mais indispensable.
Votre empreinte est solidaire et citoyenne. Est-ce
pour cela que vous êtes l’une des marques préférées
des Français ? Ou pour cela que vous avez multiplié
par 15 les résultats de votre groupe en finalement
peu de temps ?
L’attachement des Français à la marque Maif ainsi que nos excellents
résultats sont tous deux le fruit de notre engagement sincère. Je suis
ainsi convaincu que l’on peut concilier la satisfaction du client avec
l’intérêt de l’entreprise. Cela se traduit par des actions concrètes. Alors
que la tentation peut exister pour un acteur, en particulier dans notre
secteur, de se développer au détriment des véritables besoins de ses
clients, nous avons fait le choix inverse. Nous considérons que la
qualité de la relation que nous entretenons avec nos sociétaires prime
sur la productivité poussée à l’extrême, et que la juste indemnisation
prévaut sur la minimisation de la charge du sinistre.
En ce sens, aucun de nos conseillers n’est intéressé aux ventes qu’il
réalise. Nous privilégions le conseil de qualité, sincère et désintéressé,
plutôt que la vente à tout prix.
Ces choix peuvent être coûteux pour l’entreprise à court terme, mais
cela nourrit en retour un taux de satisfaction hors norme. Nous ne
comptons plus les prix que nous avons reçus en matière de relation
client. Et si les assurés sont satisfaits, ils sont également fidèles !
Ce modèle économique fondé sur la confiance est ainsi beaucoup plus
profitable et durable pour l’entreprise.
Nous avons calculé que si nous avions le même taux de départ moyen
que le marché, il nous faudrait en réalité dépenser plus de 100 millions
d’euros supplémentaires chaque année pour conquérir de nouveaux
assurés et ainsi compenser les départs. Ce modèle n’a aucun sens !
Celui pour lequel nous avons opté est plus vertueux, il bénéficie autant
à nos clients qu’à l’entreprise.
Pour qu’il porte des fruits, l’engagement ne peut être
que sincère : est-ce la genèse de la raison d’être de
l’Entreprise avec un grand E ?
J’en suis persuadé, ce modèle que je défends ne peut fonctionner que
si l’entreprise s’engage avec sincérité. Ainsi, la tentation est
permanente pour beaucoup d’instrumentaliser la démarche, de
privilégier la communication à une véritable remise en question. De ne
pas opérer ses choix en considération de leur portée, de leur impact sur
le corps social, mais au regard de leur potentiel d’affichage.
Cette nécessité d’une profonde sincérité n’est cependant pas
principalement motivée par la volonté de se prémunir contre un risque
de procès en « insincérité », c’est réellement une question de fond.
On
ne peut embarquer un collectif et engager une transformation si l’on
n’est pas profondément convaincu que c’est la meilleure voie possible.
On ne peut tenir des positions sur le long terme et convaincre autour de
soi, si l’on n’y croit pas avec sincérité.
Vous dites dans une interview, et cela m’a beaucoup
touchée, qu’un jour le regard de votre père, alors que
vous étiez un adolescent dissipé, a changé votre vie
et vos ambitions.
Suffit-il à une entreprise de se sentir observée et
jugée par ses salariés ou « communautés » pour
changer du tout au tout ? Dans certains
écosystèmes, le changement rejoint tragiquement le
mythe de Sisyphe. Quelles sont les clés d’une
véritable évolution ?
Le regard d’autrui peut être l’étincelle d’une transformation, ou même
son catalyseur. Pour autant, ce « jugement » ne peut en être l’unique
moteur. Il faut ainsi vouloir sincèrement changer pour que cela
advienne réellement. C’est la première condition que j’évoquais à
l’instant. La seconde clé, toujours issue de mon expérience, est la
nécessité d’adopter une certaine forme de radicalité dans sa
transformation. Ce terme ne signifie évidemment pas que j’appelle à
agir par des modalités d’action outrancières. Il exprime d’abord le fait
qu’il faut être en permanence vigilant pour s’assurer que l’engagement
est constant et systématique. Le modèle ne peut fonctionner
pleinement que s’il est parfaitement cohérent et donc que tout, dans
l’entreprise, est aligné. Mais radicalité signifie aussi qu’il faut être prêt,
pour garantir cette cohérence, à prendre des décisions assez fortes,
parfois en dépit d’importantes résistances internes. Pour certains
dirigeants, cela peut aussi vouloir dire de devoir convaincre des
actionnaires de la pertinence de ce type d’orientations. Il faut alors une
conviction chevillée au corps pour savoir imposer ses choix tandis que
la dictature du court terme nous conduirait à en opérer d’autres.
Le
dirigeant doit ainsi, j’en conviens, faire preuve d’une certaine audace.
Mais cette prise de risque leur sera rendue au centuple lorsqu’ils en
constateront les résultats positifs. Non seulement sur la communauté
humaine qu’ils entrainent, sur la performance et la pérennité de leur
entreprise, mais aussi sur eux-mêmes.
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