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Points de vue
 
 
 
 

Caroline Luche-Rocchia

Avocat Associée
Grant Thornton Société d’Avocats
 

Clotilde Delemazure

Directrice Nationale
Prévention et Restructuration
Grant Thornton
 
 
Comment la crise pousse les entreprises à repenser leurs modèles économique et social ?

La pandémie a entraîné une crise systémique, sanitaire, sociale, économique et politique. Ces transformations profondes ont imposé aux entreprises de revoir leurs modes d’organisation et de travail dans l’urgence et dans l’imprévisibilité la plus totale. Le contexte environnemental, économique et sociétal laisse présager d’autres crises dans « l’après » impliquant que les organisations repensent leur modèle économique et social et leur pilotage.
Ainsi quelles sont les stratégies à définir ? Quelles sont les tendances et les évolutions du modèle économique et social de demain ?

Quatre experts de Grant Thornton et Grant Thornton Société d’avocats ont envisagé les solutions à mettre en place :

Caroline Luche-Rocchia,
Avocate-Associée,
Département social,
Grant Thornton Société d’Avocats,

Clotilde Delemazure,
Directrice Nationale de la ligne de services
Prévention et Restructuration,
Grant Thornton,

Michel Jolly,
Associé, Co-directeur de l’Expertise Conseil Paris,
Grant Thornton,

Patrice Chevalier,
Directeur National de la ligne de services Paie et Conseil Social,
Grant Thornton.


En voici un premier aperçu.

I. Repenser et piloter son modèle économique

• Pilotage et adaptation dans un écosystème complexe et intimement lié

La crise a frappé toutes les entreprises : celles qui étaient déjà en difficulté ou en sous performance et celles qui ne connaissaient pas la crise. Une crise inédite en ce qu’elle a entraîné l’arrêt brutal des activités des entreprises en France et dans le monde ; une crise malheureusement aux effets durables, non encore totalement mesurables. Cette période d’incertitude nécessite par conséquent que les entreprises pilotent finement leur situation, pour s’assurer qu’elles maintiennent le cap par rapport à la feuille de route fixée, et/ou pour l’ajuster si les données ne sont pas en ligne avec ce qui était prévu.
Cet exercice de monitoring doit être réalisé dans une approche 360° de tout l’écosystème de l’entreprise : en interne, d’une part, sur toutes les fonctions clés (RH, commercial, supply chain, finance, digital) et en externe, d’autre part, pour mesurer les risques de vulnérabilité au regard de l’environnement (fournisseurs, clients, règlementation, partenaires financiers, assureurs crédit, concurrence…).
Ce pilotage est un outil au service de l’amélioration de la performance qui permettra d’identifier les zones de risques et également les opportunités d’évolution souvent nécessaires, du business model.

• Le pilotage nécessaire face aux 3 vagues de la crise pour résister pendant le shutdown, stabiliser pendant la phase de redémarrage à court et moyen terme et être résilient sur le long terme

La 1ère vague de la crise a été celle du shutdown pendant laquelle les entreprises ont dû gérer une phase de résistance. Elles ont souvent pu résister ou survivre pendant la période de confinement grâce au plan massif de l’Etat pour aider les entreprises et des pouvoirs publics : report de charges sociales (voire annulation dans le secteur du tourisme) et fiscales, chômage partiel, PGE (100 milliards d'euros octroyés sur une enveloppe de 300 milliards), fonds de solidarité, instauration d’une période blanche suspendant l’état de cessation des paiements, plans de soutien sectoriels… Ces mesures ont permis aux entreprises les moins fragiles de tenir par le financement de leurs pertes intercalaires.

Le nombre de défaillances d'entreprises, en forte baisse en mars et en avril pendant la période de confinement, illustre cette période en quelque sorte suspendue.

Cependant certaines n’ont pas résisté à cette crise dans le secteur du retail (cf. André, Alinéa, Orchestra … et d’autres dans l’industrie).

Les aides d’Etat ont été exceptionnelles mais elles n’ont qu’un temps et ne font que repousser les difficultés à terme (3ème vague) puisque les dettes constituées devront être remboursées.

Une 2ème vague de la crise impactera les entreprises qui devront parvenir à stabiliser la situation en phase de sortie de confinement et de redémarrage des activités dans des conditions d’exploitation non encore normatives. En effet, nombre d’entre elles ne retrouveront pas un approvisionnement normal avant quelques mois, il en est de même sur le plan commercial. Les entreprises dont la trésorerie est faible, sont encore plus exposées avec la diminution progressive des leviers tels que le chômage partiel, avec un crédit interentreprises souvent mis à mal, une capacité d’investissement faible ne permettant pas d’envisager des gains de productivité dans le cadre d’un plan de transformation du modèle à court terme, un surendettement ou un refus de PGE. La phase de relance est également inégale selon les secteurs d’activité.

En 2021, les entreprises devront être prêtes à affronter une 3ème vague lorsque les dettes devront être remboursées. Elles devront démontrer leur capacité de résilience à la crise. Bercy et BpiFrance rappellent que les PGE devront être remboursés. La rentabilité de beaucoup d’entreprises ne permettra sans doute pas d’assurer le service de la dette. Celles qui auront engagé en amont une réflexion stratégique sur leur modèle et l’adaptation de celui-ci à la mutation du marché seront plus résilientes. Le pilotage de leur organisation sur le plan opérationnel et financier, leur permettra d’ajuster et corriger à moyen et long terme pendant cette phase probablement longue d’incertitude sur l’avenir.

• L’anticipation des risques et des décisions permettra d’actionner les leviers indispensables à la pérennité des entreprises

Les derniers mois ont été marqués par des défaillances d’entreprises touchant un grand nombre d’emplois (dans le secteur du retail notamment, la Halle, Naf Naf, Celio). La hausse du chômage est inévitable au regard de ces défaillances et de la casse sociale (dans les secteurs aéro, automobile, tourisme). Des groupes internationaux fermeront probablement des activités en France.
Les défaillances concerneront aussi les entreprises qui étaient en bonne santé faute de trésorerie suffisante pour couvrir le besoin de financement lié aux pertes intercalaires et pour assurer le service de leurs dettes. L’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Economiques) anticipe un niveau de défaillances de + 40 000 entreprises (vs 55 000) soit +80%, susceptible d’entraîner la suppression de 250 000 emplois.
L’anticipation des difficultés et des risques sur les prochains 24 mois permettra d’engager le plan d’action et la restructuration opérationnelle et financière nécessaire à la pérennité de l’entreprise. Pour cela, le management ne doit pas faire preuve de déni mais de clairvoyance, se donner une vision stratégique sur la base de différents scenarii pour permettre d’adapter et corriger. Il devra s’entourer d’une équipe d’experts de ces situations complexes, aux côtés des hommes clés de la structure.

Des dispositifs permettent de protéger l’entreprise et son management dans ces phases de restructuration pour favoriser la réflexion, les négociations et la mise en place des actions : il s’agit des procédures amiables et préventives (mandat ad hoc et conciliation). A défaut de solution in bonis, une procédure collective peut être une solution adaptée au sauvetage de l’entreprise (sauvegarde et redressement judiciaire) pour une solution de continuité ou de transmission.

Dans ces phases complexes, le capital humain et le dialogue social sont des éléments clés de réussite d’une restructuration.


II. Repenser son modèle social

Les entreprises doivent faire face à des problématiques immédiates telles que : la santé et les conditions de travail des salariés, les relations avec les collaborateurs, l’évolution managériale des managers, l’organisation du travail mais également lancer une réflexion plus profonde portant sur la sauvegarde de l’emploi. Le plus grand danger en période de turbulence n’est pas la turbulence, mais de continuer à agir avec la logique d’hier[1], c’est en cela qu’il faut repenser le modèle social.
Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent ?

• Le télétravail, l’e-travail : un risque ou une opportunité de transformation du travail ?

Pour toutes les organisations qui le pouvaient, le télétravail a été le principe fort pendant trois mois. Depuis la publication du Protocole national du déconfinement – Etape 3[2], le télétravail n’est plus la norme mais il reste une solution à privilégier dans le cadre d’un retour progressif à une activité présentielle, y compris alternée.

La sortie de la crise pandémique est encore incertaine (seconde vague, siècle pandémique), nous obligeant à repenser et à intégrer dans nos habitudes de travail certains dispositifs auxquels nous faisions actuellement appel de manière exceptionnelle, en particulier le travail à distance et l’utilisation des outils collaboratifs (Skype, Teams).

Une récente étude de la Chaire Management et santé au travail de l’IAE de Grenoble révèle que la mise à distance du lieu de travail, malgré les nombreuses contraintes qu’elle porte, a mis en évidence que le travail peut se réaliser différemment avec des salariés plus autonomes et responsabilisés.

Le sujet n’est pas tabou pour toutes les entreprises qui réfléchissent à la réduction de leurs charges fixes et qui pourraient généraliser le télétravail à l’avenir.
Une enquête réalisée en juin par l’ANDRH en partenariat avec le Boston Consulting Group[3] révèlent que « 85% des DRH interrogés[4] considèrent souhaitable le développement pérenne du télétravail dans leur entreprise, 93% pensent que cela va bouleverser les pratiques managériales, 2/3 attendent des gains de productivité liés au développement du télétravail[5], 1/4 ont mis la crise à profit pour développer les nouveaux modes de travail (agile, lean, ..), ils sont 75% à vouloir les pérenniser ».

Toutefois, la pratique du télétravail n’est pas homogène dans les entreprises. Certaines y ont eu recours sur le fondement de la menace d’épidémie (article L.1222-11 du Code du travail) pour l’imposer à tous, et d’autres disposaient déjà d’une charte ou d’un accord spécifique.
Pour celles dotées de représentants du personnel, une négociation s’impose dans la mesure où de nombreuses questions restent en suspens : qu’en est-il des frais liés à l’exercice de l’activité en télétravail ? Qu’en est-il des contours de la durée du travail, de son suivi et de son contrôle mais également de son articulation avec la vie privée des collaborateurs ?
Pour les entreprises déjà dotées d’une charte ou d’un accord de télétravail, l’expérience du confinement appellera sans doute des ajustements. La charte liée à la déconnexion et la prévention des risques psycho-sociaux seront également des sujets majeurs dans les débats portant sur l’application de ces nouveaux modes d’organisation du travail hors contexte de crise.
Ces nouveaux modes du travail appellent aussi une nécessaire adaptation des pratiques managériales.
La culture du résultat à court terme, l’empilement des reportings, la multiplication des processus de contrôle désincarnés ont entraîné une perte de créativité, d’empathie et d’écoute pourtant essentiel à la performance de l’entreprise.
Or, toute la période a révélé au combien l’importance relationnelle du travail managérial.
Les managers ont dû se réinventer pendant la crise, passant d’un rôle de contrôle à un rôle de confiance.
Les entreprises doivent se saisir de cette crise pour accompagner ce changement de posture et aider les managers à devenir davantage un « coach », « un animateur d’équipe », un manager « au service » des besoins des collaborateurs qui n’attendent plus qu’il soit simplement un supérieur hiérarchique pour gagner en performance et libérer l’innovation.

• Une gestion à froid et/ou à chaud des emplois

Le niveau normal d’activité ne sera pas d’actualité avant plusieurs mois. Comment gérer à l’heure où les mesures d’aides financières gouvernementales vont prendre fin ? Comment limiter les effets de la crise sur les emplois ?

Les entreprises disposeront de plusieurs outils mêlant cumulativement ou alternativement une gestion à froid et à chaud des emplois.

La tendance actuelle est la négociation d’un Accord de Performance Collective « APC » comme une alternative à la suppression d’emplois (le Journal l’Equipe, PSA (Vezoul), Derichebourg, Ryan Air, etc.). Ce dispositif qui nécessite un accord collectif permet de se substituer de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail dans le domaine de la durée du travail, de la rémunération et de la mobilité professionnelle ou géographique. Les salariés peuvent refuser la modification de leur contrat mais l’employeur peut alors les licencier pour un motif réputé justifié et sans que cela déclenche un plan de sauvegarde de l’emploi (« PSE ») en cas de 10 refus.

La loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire et d’autres mesures d’urgence du 17 juin 2020 vient de créer un nouveau dispositif spécifique d’activité partielle, dit Activité réduite pour le maintien de l’emploi « ARME » destiné celui-ci à mettre en place un régime indemnitaire différent du régime de droit commun en contrepartie d’engagements sur l’emploi. Ce texte qui nécessite la publication de décrets d’application renvoie à une procédure connue en matière de PSE faisant intervenir à la fois la négociation d’un accord d’entreprise et l’administration.

Si l’entreprise n’a pas d’autres choix que de supprimer des emplois, elle pourra choisir d’opter dans un premier temps pour une rupture conventionnelle collective (« RCC ») qui repose sur la mise en œuvre de départs volontaires, à l’exclusion de tout licenciement économique. Toutes les entreprises ont la possibilité de conclure un accord de RCC quels que soient leur effectif et le nombre de ruptures envisagées. L’employeur est amené à négocier sur les conditions de la rupture amiable du contrat de travail des salariés volontaires au départ, qui s’apparente aux mesures de reclassement envisagées dans un PSE. Compte tenu du contexte actuel du marché du travail et l’augmentation exponentielle du taux de chômage, cette modalité aura très probablement peu de succès hormis pour les salariés proches de l’âge de départ à la retraite.

Les difficultés économiques peuvent être telles que les entreprises n’auront pas le choix que d’initier au plus tôt un plan de licenciement collectif pour motif économique, au niveau global ou bien sur certaines activités. Plusieurs groupes et entreprises dans les secteurs les plus touchés par la crise ont d’ores et déjà entrepris une restructuration massive et le lancement de PSE d’envergure (Tui France envisageant de supprimer deux postes sur trois, HSBC, Air France, Renault et Renault Trucks).
Dans le contexte, on peut imaginer que les organisations syndicales essaieront de rechercher en retour un équilibre aux sacrifices consentis par les salariés. Une refonte du modèle social de l’entreprise en concertation avec les partenaires sociaux et des engagements forts de la direction seront sans aucun doute un des leviers pour trouver ce point d’équilibre.

[1] Peter Ducker, grand auteur en management
[2] Protocole national du déconfinement – Etape 3 du Ministère du Travail du 24 juin 2020
[3] Enquête ANDRH/BCG – COVID : le futur du travail vu par les DRH - juin 2020
[4] 458 répondants, toutes tailles d’entreprise et secteurs confondus
[5] Versus 22% qui y voient un risque de perte de productivité

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
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